LE SQUELETTE ANONYME

Trait aux blancs
Cette position s’est présentée lors de ce dernier championnat de France, à Tours, dans la partie qui opposait Jean-Paul à Anthony, en Excellence. Les Blancs ont bien négocié le début de partie en semi-classique, en parvenant à une complète maîtrise du jeu sur leur aile droite.
Les Blancs ont joué ici 24. 48-42. Je pense que ce coup était destiné à prévenir les attaques répétées sur le pion 27.
En déroulant la partie, je me suis demandé s’il était intéressant d’envisager une variante avec un squelette anonyme. Jean-Paul l’a déjà expérimenté en partie officielle et cela aurait sacrément pimenté la partie. Sa partie contre Igor CHARTORIYSKI, jouée au tournoi Brunssum 1997, avait d’ailleurs fait l’objet d’une analyse par Ton SIJBRANDS dans sa chronique « De Volkskrant » (http://www.brunssumdamtoernooi.nl/images/media/1997/DVK-19970823.pdf)
Cette question m’a conduit à rechercher d’autres parties déjà jouées avec cet enchaînement de l’aile gauche et m’a permis de mieux comprendre quels étaient les enjeux pour chaque camp.
Je veux donc aujourd’hui vous faire partager le fruit de mes recherches.
Cet enchaînement du « squelette anonyme », ainsi dénommé par Ton SIJBRANDS, est rarissime en compétition et plutôt aventureux pour le joueur enchaîné. Quelques parties légendaires lui ont donné un certain prestige, mais le nombre de parties gagnées est très faible au regard des risques pris.
Toutefois, ce système mérite qu’on s’y intéresse, ne serait-ce que par le nombre incroyable de combinaisons qui s’y présentent et par son aspect artistique.

Trait aux blancs
La position suivante montre un exemple de base du « squelette anonyme ».
Le nombre de pions enchaînés par rapport au nombre de pions mobilisés pour enchaîner est évidemment crucial pour estimer la valeur de la position.

Trait aux blancs
Dans l’exemple suivant, plus conforme à la réalité, 6 pions blancs sont enchaînés par 7 pions noirs.
Mais attention, cette approche réductrice ne rend pas compte de l’importance de la case 23 pour les Noirs, et de la difficulté que peuvent rencontrer les Blancs pour jouer leurs pions sur la diagonale 47-29.

Trait aux blancs
Dans cet exemple, on comprend l’importance du pion 23. Tout le bloc central des Blancs est immobilisé.
D’un point de vue tactique, le joueur enchaîné n’est pas non plus très serein. Il lui faut notamment tenir compte de la combinaison dévastatrice suivante :

Trait aux blancs
Cette combinaison est typique dans ce genre de position. Elle a été effectuée pour la première fois en partie officielle, par Herman HOOGLAND contre son compatriote Henri Van den BROEK, lors du championnat du Monde 1912.
Les Blancs ont conclu la partie par 32.28-23 19x39 33.30x19 13x33 34.38x29 39x30 35.35x4.
La partie en entier est accessible sur tournoi dambase :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=46&Id=364&r=10&jr=0&wed=236299&weda=&zetten=&aav=&view=4
Mais l’un des principaux problèmes à résoudre pour le joueur enchaîné, si celui-ci a les Blancs, est d’empêcher l’intrusion à 28

Trait aux noirs
Dans cette situation, les Noirs obtiennent un avantage décisif par (23-28) 32x23 (21x32) 38x27 (19x28) etc.
Il existe une autre manœuvre à laquelle les Blancs doivent faire attention :

Trait aux noirs
Anatoli GANTWARG – Vadim VIRNY (Kislovodsk, 1982)
Les Noirs ont forcé le gain du pion par : 31… (23-28) 32. 32x23 (21x32) 33. 37x28 (18x29) 34.33x24 (22x44) 35.40x49 (26x37) 36.41x32 (10-14) etc.
Partie complète :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=23&Id=861&r=1&jr=0&wed=118692&weda=&zetten=&aav=&view=4
Voilà un bref aperçu des dangers auxquels est confronté le joueur enchaîné.
Quels sont les atouts pour le joueur enchaîné ?
Il est difficile de répondre simplement à cette question. En priorité, il faut neutraliser l’intrusion centrale adverse, en se préservant de la flexibilité, avec l’intention d’immobiliser le bloc central adverse.
Quelques artistes y sont parvenus de manière brillante :
On peut par exemple penser à la partie DIBMAN – PRESMAN du championnat URSS 1985 :

Trait aux noirs
L’avancée (23-28) est tenue en échec et le bloc central est immobilisé. Les Noirs doivent perdre le pion, sans compensation, par (22-28) 40-35 (23-29) etc.
Partie entière :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=46&Id=386&r=6&jr=0&wed=236407&weda=&zetten=&aav=&view=4
Ou encore la partie légendaire entre ZALITIS et GANTVARG au championnat URSS 1969 :

Trait aux blancs
Les Noirs ont contré l’avancée à 29-23 par (18x29) 34x23 (19x28) 32x23 (8-12) 30x19 (20-24) 19x30 (14-20) 25x14 (10x28) suivi d’un inévitable débordement.
Partie entière :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=46&Id=987&r=2&jr=0&wed=224107&weda=&zetten=&aav=&view=4
La partie entre Hans JANSEN et J. de VRIES, jouée en 1990, moins connue, est également un modèle du genre :

Trait aux noirs
Les Noirs sont asphyxiés. Ils ont tenté : 31… (9-14) 32. 20x9 (23-28) 33. 32x14 (21x43) 34. 48x39 (13-19) 35. 14x23 (18x40), mais 36.31-27 (22x42) 37.47x38 (4x13) 38. 39-34 (40x29) 39. 33x24 et la partie est sans espoir.
Le joueur enchaîné ne dispose pas de beaucoup de possibilités de combinaisons. Ce sont généralement des combinaisons avec une rafle finale de 3 pions 37x10.
Un exemple en partie officielle :

Trait aux noirs
La position suivante est issue de la rencontre entre Martin IJZENDOORN et Boris DARRY disputée à Lille en 2012.
Les Noirs ont joué ici (6-11), livrant la combinaison 32-28 (22x42) 30-24 (21x32) 37x10 (26x37) 41x32 etc. +
Partie entière :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=23&Id=2793&r=1&jr=13&wed=619798&weda=&zetten=&aav=&view=4
Analyse de la position du diagramme :
http://laatste.info/bb3/viewtopic.php?f=65&t=3418&view=next
Revenons à présent à la position de départ :

Trait aux blancs
Que jouer avec les Blancs ?
Le coup naturel est évidemment 47-42. Après (7-12) 33-28, les Noirs sont menacés du coup de mazette 28-22, suivi de 34-29. La sortie (9-14) est douteuse en raison du pionnage 37-31x31 qui interdit l’attaque (21-26) par 34-30-24. Les Noirs sont donc forcés d’échanger par (17-22).
Après 47-42, les Noirs peuvent attaquer directement par (17-22) et je ne vois pas de quelle manière il faut poursuivre avec les Blancs.
Des coups comme 34-30 ou 40-35 n’apportent rien de constructif pour les Blancs.
Je comprends donc la raison pour laquelle Jean-Paul a finalement opté pour 24. 48-42. Et l’on peut également comprendre mon questionnement sur l’intérêt d’un coup comme 36-31, avec l’intention de jouer une partie de « squelette anonyme ».

Trait aux noirs
2 combinaisons très usuelles peuvent se présenter :
A – (7-12) 34-30 (9-14) ?
B – (7-12) 34-30 (17-22) 47-42 ?
Il est évidemment très difficile de juger une telle position. Réussir à empêcher les Noirs d’investir la case 28, tout en développant les pions de la diagonale 47-29, semble à proprement parler une gageure.
Pourtant, tout n’est pas négatif. Il y a malgré tout quelques idées de développement à retenir. A chacun ensuite de se faire sa propre opinion :
1ère idée :
24…. 7-12
25. 33-29 17-22
26. 29-24 19x30
27. 34x25 13-19
Car (9-14) est interdit par 32-28 etc.
28. 39-34
A noter qu’après 38-33 (9-14) 33-29x29, les Noirs dament par (22-28) 32x23 (21x32) 37x28 (26x37) 41x32 (12-17) 23x21 (16x49).
28… 9-14
29. 34-29 23x34
29. 40x29 19-23
30. 29-24 14-19
31. 24x13 8x19
32. 38-33 etc.

Trait aux noirs
2e idée :
24… 17-22
25. 34-30 11-17
26. 40-34 7-12
27. 45-40 9-14
28. 40-35 etc.

Trait aux noirs
3e idée
24… 17-22
24. 34-30 7-12
25. 40-34 9-14
26. 30-24 19x30
27. 34x25 13-19
28. 33-29 23x34
29. 30x39

Trait aux noirs
En fait, la position de départ servait surtout de prétexte pour explorer cette forme de jeu assez insolite.
J’ai prévu une autre intervention sur ce thème avec uniquement des combinaisons.
Bonne lecture à tous
Jean-Pierre DUBOIS