LE SQUELETTE ANONYME

Par jp dubois – le 21/09/15 à 19h14Technique

LE SQUELETTE ANONYME

Trait aux blancs

Cette position s’est présentée lors de ce dernier championnat de France, à Tours, dans la partie qui opposait Jean-Paul à Anthony, en Excellence. Les Blancs ont bien négocié le début de partie en semi-classique, en parvenant à une complète maîtrise du jeu sur leur aile droite.

Les Blancs ont joué ici 24. 48-42. Je pense que ce coup était destiné à prévenir les attaques répétées sur le pion 27.

En déroulant la partie, je me suis demandé s’il était intéressant d’envisager une variante avec un squelette anonyme. Jean-Paul l’a déjà expérimenté en partie officielle et cela aurait sacrément pimenté la partie. Sa partie contre Igor CHARTORIYSKI, jouée au tournoi Brunssum 1997, avait d’ailleurs fait l’objet d’une analyse par Ton SIJBRANDS dans sa chronique « De Volkskrant » (http://www.brunssumdamtoernooi.nl/images/media/1997/DVK-19970823.pdf)

Cette question m’a conduit à rechercher d’autres parties déjà jouées avec cet enchaînement de l’aile gauche et m’a permis de mieux comprendre quels étaient les enjeux pour chaque camp.

Je veux donc aujourd’hui vous faire partager le fruit de mes recherches.

Cet enchaînement du « squelette anonyme », ainsi dénommé par Ton SIJBRANDS, est rarissime en compétition et plutôt aventureux pour le joueur enchaîné. Quelques parties légendaires lui ont donné un certain prestige, mais le nombre de parties gagnées est très faible au regard des risques pris.

Toutefois, ce système mérite qu’on s’y intéresse, ne serait-ce que par le nombre incroyable de combinaisons qui s’y présentent et par son aspect artistique.

Trait aux blancs

La position suivante montre un exemple de base du « squelette anonyme ».

Le nombre de pions enchaînés par rapport au nombre de pions mobilisés pour enchaîner est évidemment crucial pour estimer la valeur de la position.

Trait aux blancs

Dans l’exemple suivant, plus conforme à la réalité, 6 pions blancs sont enchaînés par 7 pions noirs.

Mais attention, cette approche réductrice ne rend pas compte de l’importance de la case 23 pour les Noirs, et de la difficulté que peuvent rencontrer les Blancs pour jouer leurs pions sur la diagonale 47-29.

Trait aux blancs

Dans cet exemple, on comprend l’importance du pion 23. Tout le bloc central des Blancs est immobilisé.

D’un point de vue tactique, le joueur enchaîné n’est pas non plus très serein. Il lui faut notamment tenir compte de la combinaison dévastatrice suivante :

Trait aux blancs

Cette combinaison est typique dans ce genre de position. Elle a été effectuée pour la première fois en partie officielle, par Herman HOOGLAND contre son compatriote Henri Van den BROEK, lors du championnat du Monde 1912.

Les Blancs ont conclu la partie par 32.28-23 19x39 33.30x19 13x33 34.38x29 39x30 35.35x4.

La partie en entier est accessible sur tournoi dambase :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=46&Id=364&r=10&jr=0&wed=236299&weda=&zetten=&aav=&view=4

Mais l’un des principaux problèmes à résoudre pour le joueur enchaîné, si celui-ci a les Blancs, est d’empêcher l’intrusion à 28

Trait aux noirs

Dans cette situation, les Noirs obtiennent un avantage décisif par (23-28) 32x23 (21x32) 38x27 (19x28) etc.


Il existe une autre manœuvre à laquelle les Blancs doivent faire attention :

Trait aux noirs

Anatoli GANTWARG – Vadim VIRNY (Kislovodsk, 1982)

Les Noirs ont forcé le gain du pion par : 31… (23-28) 32. 32x23 (21x32) 33. 37x28 (18x29) 34.33x24 (22x44) 35.40x49 (26x37) 36.41x32 (10-14) etc.
Partie complète :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=23&Id=861&r=1&jr=0&wed=118692&weda=&zetten=&aav=&view=4

Voilà un bref aperçu des dangers auxquels est confronté le joueur enchaîné.


Quels sont les atouts pour le joueur enchaîné ?

Il est difficile de répondre simplement à cette question. En priorité, il faut neutraliser l’intrusion centrale adverse, en se préservant de la flexibilité, avec l’intention d’immobiliser le bloc central adverse.

Quelques artistes y sont parvenus de manière brillante :

On peut par exemple penser à la partie DIBMAN – PRESMAN du championnat URSS 1985 :

Trait aux noirs

L’avancée (23-28) est tenue en échec et le bloc central est immobilisé. Les Noirs doivent perdre le pion, sans compensation, par (22-28) 40-35 (23-29) etc.
Partie entière :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=46&Id=386&r=6&jr=0&wed=236407&weda=&zetten=&aav=&view=4

Ou encore la partie légendaire entre ZALITIS et GANTVARG au championnat URSS 1969 :

Trait aux blancs

Les Noirs ont contré l’avancée à 29-23 par (18x29) 34x23 (19x28) 32x23 (8-12) 30x19 (20-24) 19x30 (14-20) 25x14 (10x28) suivi d’un inévitable débordement.
Partie entière :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=46&Id=987&r=2&jr=0&wed=224107&weda=&zetten=&aav=&view=4


La partie entre Hans JANSEN et J. de VRIES, jouée en 1990, moins connue, est également un modèle du genre :

Trait aux noirs

Les Noirs sont asphyxiés. Ils ont tenté : 31… (9-14) 32. 20x9 (23-28) 33. 32x14 (21x43) 34. 48x39 (13-19) 35. 14x23 (18x40), mais 36.31-27 (22x42) 37.47x38 (4x13) 38. 39-34 (40x29) 39. 33x24 et la partie est sans espoir.


Le joueur enchaîné ne dispose pas de beaucoup de possibilités de combinaisons. Ce sont généralement des combinaisons avec une rafle finale de 3 pions 37x10.

Un exemple en partie officielle :

Trait aux noirs

La position suivante est issue de la rencontre entre Martin IJZENDOORN et Boris DARRY disputée à Lille en 2012.

Les Noirs ont joué ici (6-11), livrant la combinaison 32-28 (22x42) 30-24 (21x32) 37x10 (26x37) 41x32 etc. +

Partie entière :
http://toernooibase.kndb.nl/applet/oerterpapplet2.0/oerterp.php?taal=&kl=23&Id=2793&r=1&jr=13&wed=619798&weda=&zetten=&aav=&view=4

Analyse de la position du diagramme :
http://laatste.info/bb3/viewtopic.php?f=65&t=3418&view=next






Revenons à présent à la position de départ :

Trait aux blancs

Que jouer avec les Blancs ?

Le coup naturel est évidemment 47-42. Après (7-12) 33-28, les Noirs sont menacés du coup de mazette 28-22, suivi de 34-29. La sortie (9-14) est douteuse en raison du pionnage 37-31x31 qui interdit l’attaque (21-26) par 34-30-24. Les Noirs sont donc forcés d’échanger par (17-22).

Après 47-42, les Noirs peuvent attaquer directement par (17-22) et je ne vois pas de quelle manière il faut poursuivre avec les Blancs.

Des coups comme 34-30 ou 40-35 n’apportent rien de constructif pour les Blancs.

Je comprends donc la raison pour laquelle Jean-Paul a finalement opté pour 24. 48-42. Et l’on peut également comprendre mon questionnement sur l’intérêt d’un coup comme 36-31, avec l’intention de jouer une partie de « squelette anonyme ».

Trait aux noirs

2 combinaisons très usuelles peuvent se présenter :
A – (7-12) 34-30 (9-14) ?
B – (7-12) 34-30 (17-22) 47-42 ?

Il est évidemment très difficile de juger une telle position. Réussir à empêcher les Noirs d’investir la case 28, tout en développant les pions de la diagonale 47-29, semble à proprement parler une gageure.

Pourtant, tout n’est pas négatif. Il y a malgré tout quelques idées de développement à retenir. A chacun ensuite de se faire sa propre opinion :

1ère idée :
24…. 7-12
25. 33-29 17-22
26. 29-24 19x30
27. 34x25 13-19

Car (9-14) est interdit par 32-28 etc.

28. 39-34

A noter qu’après 38-33 (9-14) 33-29x29, les Noirs dament par (22-28) 32x23 (21x32) 37x28 (26x37) 41x32 (12-17) 23x21 (16x49).

28… 9-14
29. 34-29 23x34
29. 40x29 19-23
30. 29-24 14-19
31. 24x13 8x19
32. 38-33 etc.
Trait aux noirs


2e idée :
24… 17-22
25. 34-30 11-17
26. 40-34 7-12
27. 45-40 9-14
28. 40-35 etc.
Trait aux noirs


3e idée
24… 17-22
24. 34-30 7-12
25. 40-34 9-14
26. 30-24 19x30
27. 34x25 13-19
28. 33-29 23x34
29. 30x39
Trait aux noirs


En fait, la position de départ servait surtout de prétexte pour explorer cette forme de jeu assez insolite.

J’ai prévu une autre intervention sur ce thème avec uniquement des combinaisons.

Bonne lecture à tous

Jean-Pierre DUBOIS

Réponses (4)

Par plantin – le 21/09/15 à 23h26

Bonjour Jean-Pierre,
Peux-tu me donner ton a dresse mail?
La mienne: plantin.jeanpaul@free.fr
JPP

Par MINAUX – le 23/09/15 à 20h40

Bonsoir Jean Pierre,

Je me souviens d'avoir lu que dans ces Chroniques , Ton a abordé ce sujet et a donné le nom à cette position de : " Squelette anonyme" car il n'avait pas trouvé de nomenclature antérieure pour cette position:

Trait aux blancs


Est ce qu'il ne faut pas faire une différence avec la position du "Drapeau" où il n'y a pas de pion à 36 .

Trait aux blancs


Serge

Par jp dubois – le 24/09/15 à 08h43

Bonjour Serge,

J’ai appris tout récemment par Jean-Paul que cette formation portait normalement le nom de drapeau.

Ce nom est d’ailleurs beaucoup plus imagé que celui de « squelette anonyme ». La hampe est représentée par les pions 46 et 41, et le drapeau proprement dit, par le losange 27-31-32-37.

Pour écrire cette note synthétique, j’ai fait pas mal de recherches sur Google et je suis tombé sur deux chroniques qui montrent, sans ambiguïté, que le terme « squelette anonyme » est bien adopté par les damistes néerlandais pour la position du diagramme.

Premièrement, une chronique de CEES TEUWEEN, parue dans Het Damspel, dans laquelle il définit quelques termes du vocabulaire damiste, dont la fameuse formation du squelette anonyme. Cette chronique est accessible en ligne : http://damspel.kndb.nl/pdf/HD_0605.pdf

Deuxièmement, une chronique de Ton SIJBRANDS lui-même, également parue dans la revue HET DAMSPEL, dans laquelle il déclare que 36-31 joué par GEORGIEV contre SHAIBAKOV, introduit une position du squelette anonyme.

De plus, il y a 3 interventions sur ce forum qui ne font pas vraiment la distinction entre la présence ou non d’un pion à 36 pour désigner une position du squelette anonyme. Michel REVEST et Ton TILLEMANNS semblent des puristes car ils soulignent bien que la position réelle du squelette anonyme comprend un pion supplémentaire à 36.

Que conclure de tout cela ?

Il me semble que les Néerlandais ont évolué, et que finalement, le terme « naamloos skelet » désigne une formation d’enchaînement de l’aile gauche, avec ou sans pion à 36.

De mon côté, je serais assez partisan de baptiser cette formation « anonyme » du nom beaucoup plus avenant de « drapeau ».

Serge, connais tu l’origine de cette appellation de « drapeau » ?

Bien amicalement

Jean-Pierre

Par MINAUX – le 24/09/15 à 21h40

Bonsoir Jean Pierre,
J’ai retrouvé les commentaires de Ton., dans la Chronique de Ton Sijbrands N°1 écrit en 1983.
Ton donne comme explication pour l’attribution de ce nom « Squelette anonyme » dans l’analyse de la partie Laimonis Zalitis - Anatoli Gantvarg .

DamboTopLine "Kampioenschap van de USSR 1969 Round 2"]
[DamboBottomLine "Laimonis Zalitis - Anatoli Gantvarg 0-2"]
1. 32-28 18-23 2. 33-29 23x32 3. 37x28 17-22 4. 28x17 11x22 5. 41-37 13-18 6. 34-30 6-11 7. 30-25 16-21 8. 39-33 21-26 9. 31-27 22x31 10. 36x27 9-13 11. 44-39 11-17 12. 46-41 19-24 13. 39-34 4-9 14. 27-21 1-6 15. 21-16 17-22 16. 41-36 6-11 17. 49-44 13-19 18. 34-30 9-13 19. 43-39 11-17 20. 40-34 7-11 21. 16x7 2x11 22. 45-40 17-21 23. 50-45 11-16 24. 38-32 22-27 25. 42-38 18-22 26. 47-42 12-17 27. 48-43 13-18 28. 29-23 18x29 29. 34x23 19x28 30. 32x23 8-12 31. 30x19 20-24 32. 19x30 14-20 33. 25x14 10x28 34. 30-24 12-18 35. 24-19 27-31 36. 36x27 21x41 37. 42-37 41x32 38. 38x27 22x31 39. 33x13 5-10 *

Position au 19éme temps :
Trait aux blancs


Je cite Ton « Par l’occupation des cases 19 et 30 il s’est produit maintenant un type de jeu appartenant formellement au groupe assez grand des enchaînements de l’aile gauche (EAD), mais qui, par sa complexité et sa richesse quasi illimitée, en saillit tellement qu’il mériterait en effet une dénomination spécifique. Dans un sens il l’a depuis quelque temps. Car en automne 1979, quand je vouais un article à ce sujet dans « Dammagazine DB » et que j’expliquais dans mon introduction de quels pions se compose le « squelette anonyme » de cette version du EAG , le rédacteur en chef Wim Jurg en tirait justement ces deux mots pour en faire le titre, pour lequel je n’avais pas fait de suggestion moi-même. Et voilà : ce titre appelait tellement à l’imagination des lecteurs qu’il était utilisé de plus en plus souvent et de ces jours il n’y a plus de damiste qui se respecte à parler ou penser ou penser du type de jeu en question autrement que du « Squelette anonyme ».
Ainsi, consciemment ou non, chacun contribue à la réalisation d’une nomenclature adulte !

Il analyse aussi dans un autre article la semaine suivante dans le journal Volkskrant une autre partie dans le genre du « Squelette anonyme »
Hermelink,F. - Sluis,van der,W.
NLD-ch, 31-03-1975

1.33-29 19-23 2.35-30 20-25 3.40-35 14-19 4.30-24 19x30 5.35x24 17-22 6.45-40 15-20 7.24x15 25-30 8.34x25 23x45 9.32-27 12-17 10.38-33 17-21 11.37-32 21-26 12.41-37 11-17 13.42-38 17-21 14.47-41 6-11 15.39-34 11-17 16.44-40 13-19 17.40-35 10-14 18.34-30 19-23 19.33-29 23x34 20.30x39 14-19 21.35-30 7-12 22.39-33 19-23 23.33-29 23x34 24.30x39 8-13 25.38-33 1-7 26.49-44 5-10 27.39-34 10-14 28.43-39 13-19 29.34-30 2-8 30.30-24 19x30 31.25x34 14-19 32.34-30 19-23 33.30-25 9-13 34.33-28 22x33 35.39x19 13x24 36.25-20 3-9 37.20x29 18-22 38.27x18 12x34 39.31-27 7-12 40.48-43 12-18 41.36-31 17-22 42.41-36 8-12 43.44-40 34-39 44.43x34 9-14 45.40-35 22-28 46.32x23 18x40 47.35x44 21x41 48.46x37 16-21 49.44-39 12-18 50.39-34 18-23 0-2 (1.58/1.55)

Position au 14éme temps après 47-41
Trait aux noirs


Dans ces 2 parties il y a bien un pion à 36, pour le « Squelette anonyme ».
Pour la position du « Drapeau » je ne connais pas l’origine de la dénomination mais je pense que la position sur le damier correspond bien à l’image stylisé d’un drapeau.

Au point de vue stratégique le « Squelette anonyme » est plus lourd avec 1 pion de plus enchaîné mais il offre moins de prise aux combinaisons.

Serge