Temps de retard en classique : un avantage ?

Par jp dubois – le 16/12/17 à 11h35Technique

Temps de retard en classique : un avantage ?

Gérard a ouvert le débat sur le thème en formulant la question de la manière suivante :
« pourquoi dit-on en classique qu'il vaut mieux avoir des temps de retard? »

Gérard poursuit en argumentant :
« Si en effet j'ai des temps d'avance deux cas peuvent se présenter:
1) si la structure centrale change alors la partie peut se transformer en une partie de flanc et le camp avec des temps d'avance aura alors les meilleures chances
2) si la structure centrale tient le choc alors le camp avec des temps d'avance sera cette fois-ci en difficulté mais, précisément grâce aux temps d'avance, il existera très souvent une manoeuvre de gambit qui permettra un passage défensif à dame pour sortir la nulle! »

De mon point de vue, je pense que la notion d’avantage en partie classique associé aux temps de retard provient d’une confusion entre les temps de réserve et les temps de retard. J’ai le sentiment que beaucoup de joueurs estiment que, puisqu’en classique le jeu est symétrique, celui qui dispose des temps un retard, est plus à même de bloquer l’adversaire.
Il s’agit d’une hypothèse très logique, mais qui ne se confirme pas dans la pratique.

Mon affirmation est la suivante :
Les temps de retard n’ont aucune relation en classique, ni avec l’avantage, ni avec les temps de réserve, sauf situations fortuites.

Gilbert Kalfon nous a souvent fait remarquer que Baba Sy, lorsqu’il est arrivé en France, subjuguait ses adversaires car il les battait en partie classique, avec des temps d’avance.
Par ailleurs, les nombreuses parties en classique moderne sont venues battre en brèche cette idée préconçue d’avantage liée aux temps de retard. La vidéo de Philippe sur la colonne offensive 45-40-34 l’illustre parfaitement.

Avant d’en arriver à une question essentielle « Existe-t-il un intérêt à calculer la différence de temps en classique ? », je voudrais vous faire réfléchir sur la position suivante :

Trait aux blancs

La position est pratiquement symétrique. Les noirs ont 1,5 temps de retard (en raison du trait pour les blancs). La position est en principe favorable aux noirs.
Oui mais…
1. 40-34
Que doivent alors jouer les noirs ?
Après (20-25) 48-43 (15-20) les blancs obtiennent une bonne position en poursuivant par 27-21 (16x27) 31x22 (18x27) 32x21 (23x32) 38x27 et l’on retrouve un type de position latéral signalé par Gérard, avec 4 temps d’avance pour les blancs et la suprématie sur l’aile gauche.

Après (24-29) 33x24 (20x40) 35x44 (15-20) 39-34 (20-24) 44-40 (3-9) 40-35 (9-14), l’avantage qu’obtiennent les blancs ne doit rien aux temps de retard, mais au fait qu’il ont juste le temps de jouer 34-30 et de contenir ainsi toute l’aile gauche adverse avec seulement 2 pions.

L’autre suite que les noirs peuvent jouer est :
1… 6-11
2. 34-30 20-25
3. 48-43 25x34
4. 39x30

Trait aux noirs

Les blancs ont à présent 3 temps d’avance, mais ils contrôlent davantage de terrain. Les noirs ont une position difficile à jouer. Leur pion 15 est une entrave et leur pion savant est utile sur les 2 ailes.
Evidemment, il n’est pas ici question de gain, mais seulement d’appréciation.

Que jouer avec les noirs ?

Après (3-9) 43-39 (9-14) 31-26 (11-17) 36-31 (15-20) 30-25 (23-29) 35-30 (24x35) 33x15, ce sont les noirs qui doivent chercher la nulle.

Après (23-29) 43-39 (29-34) 28-23, la nulle est loin d’être acquise pour les noirs.

Le coup le plus logique est donc :
4… 11-17 5. 31-26
Et si :
A - 5… (3-8) 27-21x21 etc. avec un passage sur l’aile gauche et une fin de partie plus facile pour les blancs
B – 5… (23-29) 30-25 (29-34) 25-20 (24-29) 33x24 (19x30) 35x24 (34-40) 20-14 (40-44) 24-20 (15x24) 14-10 et là encore, il est difficile de se prononcer sur le gain ou sur la nulle. Je peux simplement affirmer que les noirs ne peuvent pas damer.

Ces quelques variantes n’ont d’autre but que de montrer que les temps de retard n’ont aucune signification et que cela ne permet en aucun cas de préjuger d’un avantage quelconque.
En système classique, le projet de bloquer les pions adverses est très difficile à mettre en œuvre car il faut maîtriser le jeu au centre et sur les ailes.

J’en reviens à la question suivante :
« Existe-t-il un intérêt à calculer la différence de temps en classique ? »
Ma réponse est sans équivoque, oui.

J’aime bien l’approche de Philippe, lorsqu’il associe l’intérêt des différences de temps à la recherche de positions connues.

Par ailleurs, la différence de temps doit nous orienter vers le type de stratégie qui sera le plus approprié.
Les temps d’avance nous conduiront par exemple à recourir à des gambits (idée de Gérard), ou à contrôler les ailes, ou encore à jouer latéralement (idée de Gérard), etc.

J’espère avec ce post avoir apporté un peu de clarté sur ce thème.

Je vous souhaite à tous d’excellentes fêtes de fin d’année.

J-Pierre DUBOIS

Réponses (3)

Par Gérard TAILLE – le 16/12/17 à 16h49

Bonjour Jean-Pierre,

Je vois que je ne suis pas le seul à mettre en cause le fait de lier, en classique, un retard de développement et un avantage.
Je vais essayer de répondre à ton souhait de nous faire réfléchir à la position suivante:

Trait aux blancs


J'ai une approche légèrement différente dans mon analyse:
Dans cette position classique la première chose que l'on voit est je pense la flèche 24-20-15 et la première question que je me pose est de savoir si cette flèche est ou non une bonne chose pour les noirs. Ma réponse est la suivante: si le pion blanc à 40 parvient à aller en 30 alors cette flèche est plutôt une faiblesse à cause du pion 15 inactif. Par contre avec ce pion blanc hors jeu en 40 cette flèche est une force car elle rend le coup 40-34 compliqué à cause de la possibilité 40-34 24-29 33x24 20x40 35x44 23-29 et les noirs ont gagné du temps et de l'espace.
Quand je continue l'analyse de l'autre côté du damier j'ai une conclusion évidemment symétrique: la flèche 27-31-36 est plutôt une force à cause du pion inactif en 6 qui a des difficultés à aller en 17.
Quelle stratégie adopter après cette première analyse? Faisons temporairement l'hypothèse que les noirs laissent en place leur flèche 24-20-15 et que les blancs ne jouent pas 40-34 pour ne pas subir 24-29. Si de façon symétrique je fais l'hypothèse que les blancs laissent en place leur flèche 27-31-36 et que les noirs jouent 6-11 mais sans avancer en 17 on voit que la situation est bloquée et relève donc des temps de réserve. Le calcul est ici très simple: ce sont les blancs qui devront prendre l'initiative de rompre ce blocage.
Pour rompre ce blocage ils devront soit jouer tout de même 40-34 soit préparer le pionnage 27-22 (dangereux ?!) ou le pionnage 27-21. Ce dernier pionnage doit être étudier avec soin car si les blancs ne peuvent pas obtenir un débordement alors ils seront en difficulté car ils auront abandonné le centre.
Pour moi le coup le plus logique dans cette position est donc 40-34. Je m'attends alors à la réponse 40-34 24-29 33x24 20x40 35x44 23-29 qui casse la position en donnant du temps et de l'espace aux noirs mais les blancs avaient au départ des temps d'avance donc l'équilibre est rétablit.
Voilà donc un nouvel exemple qui éclaire la notion de temps d'avance sous un autre angle. Les blancs avaient des temps d'avance (ce qui est de mon point de vue une bonne chose!) mais manquaient de temps de réserve. Ils ont trouvé une solution pour se libérer mais en perdant leur temps d'avance. Au bout du compte il me semble que la position présentée est très équilibrée mais attention ! Si sur sur 40-34 les noirs n'exploitent pas leur flèche 24-20-15 alors ils peuvent facilement se mettre en difficulté.

Amitiés
Gérard

Par MINAUX – le 17/12/17 à 10h52

Bonjour Jean Pierre et Gérard,

Je pense aussi que ce principe :
« En classique il vaut mieux avoir des temps de retard? »

Qui a été formulé il y a bien longtemps par ? , ne peut pas s’appliquer à la partie Classique en générale.

Il ne se vérifie pour moi qu’en fin de partie dans une Classique Fermée comme la Woldouby ,

ou dans des positions Classiques de ce type où il n’est plus possible d’ouvrir le jeu sur un des flancs.

Trait aux blancs


Les blancs ont le trait ( seulement 1/2 temps d'avance) et trouver la continuation pour obtenir la remise est loin d'être facile.

Dans de telles positions le jeu est normalement beaucoup plus facile avec des temps de retard car votre adversaire va s’étouffer de lui-même. A condition aussi qu’il n’arrive pas à se procurer des temps de réserve comme dans l’avancée Ghestem.


C’est peut être cette constatation qui est à l’origine de ce postulat : « En classique il vaut mieux avoir des temps de retard? » .
Et malheureusement on en a fait une généralité, ce qui prête à confusion car il ne se vérifie pas bien sûre, mais il reste pourtant dans les esprits et est enseigné souvent à mal escient comme l’objectif à atteindre.

Serge

Par Gérard TAILLE – le 17/12/17 à 13h11

Bonjour Serge,

Trait aux blancs


Pourquoi vois-tu une difficulté pour les blancs à cause d'une menace d'étouffement?
Même dans ce genre de position des temps d'avance ne me semblent pas du tout un handicap.

Par contre, et ceci est très important, une certitude absolue est qu'en classique il faut se méfier à tout instant des coups classiques liés en particulier à la présence de la formation olympique.
Dans la position ci-dessous, outre le stupide 27-22?? on élimine donc quasi aussi instantanément le coup 38-33?? 23-29 42-38 19-23!

Cette position parfaitement symétrique est intéressante pour montrer précisément que le camp qui a le trait a la plupart du temps de nombreuses possibilités pour rompre la symétrie et casser le centre en conservant l'avantage du trait.

Quelques exemples
Sur 28-22 le coup symétrique 23-29 permet simplement 32-28 et le trait est ainsi un avantage.
Sur 39-34 le coup symétrique 12-17 est tout simplement perdant
Sur 36-31 (pour pouvoir jouer 27-22) 15-20 27-22 24-29 39-33 12-18 etc on voit encore l'avantage du trait

Etouffer son adversaire est une entreprise très difficile même en classique!
Mon point de vue est le suivant: Si j'ai des temps d'avance et si je n'ai pas une position positionnellement inférieure à celle de mon adversaire alors je me sens plutôt bien car il me suffit simplement d'avoir la vigilance d'éviter un étouffement pour prendre l'avantage!

Dans la position ci-dessus présentée par Serge je me sens capable d'éviter tout danger en jouant n'importe lequel des 3 ou 4 coups blancs possibles non stupides.

Amitiés
Gérard